Grabuges est un cadre d’exploration, qui ouvre des espaces de dialogue, donne la parole et cherche à décloisonner en interrogeant nos représentations du monde. Il vise à remettre en question, à stimuler des initiatives, à légitimer des actions expérimentales et “hors système”, à actionner des mises en mouvement.
Dans ce projet, nous portons une attention particulière à la question de notre relation d’attention au vivant et à l’espace-temps nécessaire pour rendre possible cette connexion au sein des pratiques habituelles et notamment au sein du monde du travail, considéré comme lieu de la capitulation de ce désir.
En pratique, nous menons des rencontres, des ateliers, des sessions de dialogues, des projets de recherche au cours desquels nous favorisons l’écoute, nous croisons les disciplines, nous encourageons la pollinisation des points de vue. La matière qui émerge de ces moments d’échanges peut prendre la forme d’une restitution graphique, sonore, littéraire et est destinée à être passée pour nourrir ce mouvement vers un changement de paradigme.
Sophie Cornet
Entre 2010 et 2023, j’ai accompagné divers projets de transition écologique dans les secteurs du spectacle vivant, de l’audiovisuel et du cinéma, dont celui du théâtre de la Monnaie à Bruxelles. Depuis octobre 2023, je suis responsable de la mise en place du projet de Responsabilité Sociétale de l’Entreprise (RSE) du futur musée Kanal qui ouvrira ses portes en 2025 dans l’ancien garage Citroën.
En tant qu’éco-conseillère, mon rôle est de faciliter l’émergence de nouvelles pratiques tenant compte des impacts environnementaux, économiques, éthiques et sociaux. Mon approche : amener de la méthode pour faire ensemble en tenant compte de la diversité des compétences et des personnes, mener un travail de veille permanente et diffuser les informations de manière adéquate, trouver les experts et mettre en relation, animer le changement.
Barbara Demaret
Entre 2008 et 2023, j’ai créé et participé à l’élaboration de projets singuliers à la croisée de plusieurs disciplines (arts-vivant, culture, cohésion sociale et espace public). Ceci aux seins d’associations, d’écoles et d’institutions. Je suis diplômée en Sciences Théâtrales, formée au management culturel (BAGIC) et à la médiation de conflits (2023). Collaborations et missions avec: L’ESAC – Latitude 50 – Théâtre et Publics – RABBKO – La Maison de la Bellone – Fédération des Arts de la rue – Alliance Française Athènes – Tanz Festival Vienne (avec Pieter Ampe) – Cie Nationale Islandaise à Reikjavik (avec Pieter Ampe). J’accompagne les artistes en tant qu’intervenante. En formation permanente avec différents experts de domaines variés, je travaille en m’inspirant de méthodes en liens avec la sociologie, la médiation, l’écologie, et le vivant sous toutes ses formes. J’ai développé une méthode liée à la nécessité du soin dans une société que j’identifie comme « en souffrance ». L’écosophie me semble être l’approche philosophique la plus en adéquation avec mon travail.
Nous sommes chercheuses associées chez Plusieurs, structure d’imaginaire, de recherche, de création, d’indiscipline et y bénéficions de ressources pour le développement de Grabuges.
Avec Nathalie Moine, Ariane Vitou et Jean-Marc Desmond, nous avons initié le Parlement des mots, ateliers participatifs qui visent à interroger le réel, au travers de l’utilisation que nous faisons des mots.
Grabuges est ouvert aux propositions et aux collaborations diverses.
Notre dispositif évolue dans sa forme au gré des rencontres, des dialogues, et des collaborations.
N’hésitez pas à nous contacter afin d’imaginer quelque chose ensemble.
Pour illustrer notre fonctionnement, nous nous référons au monde du vivant et à la métaphore des “pollinisateurs sauvages”. Ces insectes sont indépendants et nomades. Ils agissent en dehors des colonies et sont responsables à plus de 40 % de la pollinisation.
Ils sont en voie de disparition.
Découvrir l’existence de ces pollinisateurs sauvages a fait tout de suite écho avec nos pratiques: passer d’une idée à l’autre, faire passer, de proche en proche, d’affinité en affinité, motivées par le désir et le mouvement de la vie. Cette façon de participer à l’émergence de projets fruits, parfois par simple dépôt ou échanges informels nous ressemblent. Agir poétiquement par un double mouvement : celui d’une part d’alléger la nécessité d’efficacité dans une démarche pourtant très engagée (nous défendons l’idée d’une certaine radicalité) et d’autre part de légitimer les échanges non spécialisés autours de questions communes à tous (pas besoin d’êtres un savant, détenteur de connaissances pour aborder avec intelligence les questions liées à l’environnement et la société.).
Est-ce que faire société, en prenant le temps de palabrer, le temps d’observer, le temps de ne pas être efficace est encore possible? Est-ce que cette façon-là d’être en vie est en voie d’extinction au même titre que certaines variétés d’insectes? En passant d’une réflexion à l’autre, d’un concept ou d’une observation à l’autre : une tendance à l’homogénéisation se dessine et ça nous inquiète. Par ce projet, nous voulons affirmer notre positionnement. Par de simples actions, par un état d’esprit, nous voulons protéger la diversité d’être et de faire. Les pollinisateurs sauvages en sont une belle image et leurs mouvements moins organisés et plus aléatoires que celui des abeilles mellifères inspirent notre état d’esprit : des actions parfois suspendues, aux contours moins définis, hors sols, des trajectoires au gré des rencontres et des contextes… une certaine forme de légèreté, un mouvement d’émancipation qui privilégie le libre arbitre.
Il est question ici d’inquiétude, de faits concrets, de rapport au temps, à la poésie. Nous avons créé cet espace de rencontres et réflexions informelles afin de poser, seul(e)s ou à plusieurs la question de nos priorités, de nos actions essentielles (celles qui font sens).
Le dispositif de pollinisation sauvage est né suite à notre rencontre, Barbara Demaret et Sophie Cornet, lors d’un atelier sur l’éco-production dans l’entreprenariat théâtral que nous avons co-facilité en 2018 à la demande de l’asbl Théâtre & Publics à Liège (merci à Joelle Wertz & Frédérique Debaar). Nous avons rapidement identifié nos complémentarités tant dans notre approche que dans nos compétences. Une synergie entre l’éco-conseil et la dramaturgie ouverte. L’importance du dialogue ouvert et la qualité d’écoute est notre priorité, ce qui a donné à nos échanges une particularité centrée sur l’être.
Sophie a accompagné pendant de nombreuses années des projets de transition écologique dans les secteurs du spectacle vivant, de l’audiovisuel et du cinéma. Depuis plus de 10 ans, elle coordonne le projet de durabilité du théâtre de la Monnaie à Bruxelles. Elle joue un rôle d’interface et de traducteur entre divers acteurs et experts permettant ainsi l’émergence de décisions et de pratiques nouvelles et concertées. Par un travail de veille mené en permanence, elle actualise ses connaissances, digère les informations reçues pour les diffuser adéquatement. Elle joue le rôle de ‘passeuse’, pollinisatrice avec la détermination et le désir nécessaire d’ouvrir de nouvelles portes, de s’infiltrer en douceur dans les brèches, soucieuse d’encourager son public-cible à adopter de nouveaux points de vues, de nouvelles pratiques et processus.
Pour Barbara, l’utilisation de l’inspiration et des visions intuitives est l’outil le plus important en dramaturgie, non seulement pour l’artiste, mais pour quiconque réalise quelque chose.
Voilà pourquoi elle propose d’adopter une attitude « intuitivo-tolérante » qui consiste à se mettre à l’écoute: sentiments, impressions, sensations, et d’être particulièrement disponible à l’intangible, l’inexplicable, le complexe, le mystérieux, l’inachevé afin de le mettre en lien avec le collectif.
Toutes les formes de créativité ont leurs places y compris celles du quotidien. L’idée est d’accepter la notion de bricolage afin de laisser la place à l’émergence de solutions inédites, cultiver l’art de l’assemblage avec les éléments en présence dans un contexte donné.
Ici, Barbara et Sophie participent au réveil du désir d’actions poétiques et politiques identifiées comme nécessaires. Provoquer du Nous contaminé est une façon de laisser la place à de l’inédit.
Nous accordons une priorité aux théories qui défendent et explicitent le point de vue du vivant.
Extrait d’une rencontre avec Stéphane De Greef au printemps 2019
“Les abeilles mellifères sont de très bons pollinisateurs spécialisés en pollinisation. C’est un grand groupe. Les pollinisateurs sauvages ne sont pas spécialisés et transportent le pollen plutôt par accident lors de leurs différentes activités. Si les pollinisateurs sauvages disparaissaient ce serait la catastrophe. C’est comme s’il ne restait plus que les pigeons dans nos jardins. C’est comme si on perdait 99,9% des oiseaux de nos jardins. C’est comme si les fleurs de Belgique se limitaient aux pâquerettes et aux marguerites. Les plantes à fleurs ont besoin de pollinisateurs . Si on perd les fleurs, on perd les fruits, si on perd les fruits on perd les animaux qui mangent les fruits et si on perd ces animaux c’est l’écosystème qui, à terme, s’effondre. Ça peut faire cet effet domino qui peut mener jusqu’à la disparition des prairies et des forêts, en ne gardant que quelques espèces.”
« Celle qui bruisse » de Alain Damasio
« Le vivant n’est pas une propriété, un bien qu’on pourrait acquérir ou protéger. C’est un milieu, c’est un champ qui nous traverse dans lequel nous sommes immergé, fondu, ou électrisé, si bien que s’il existe une éthique en tant qu’être humain, c’est d’être digne de ce don sublime d’être vivant et d’en incarner, d’en déployer autant que faire se peut les puissances… Vivre revient alors à accroître notre capacité à être affecté dans notre spectre ou notre amplitude, à être touché, changé, ému, contracter une sensation, contempler, habiter un instant ou un lieu… Si bien, qu’il devient crucial d’aller à la rencontre, … Rencontrer une lumière, la mer, un jeu vidéo, une heure de la journée, la neige… Faire terreau pour que les liens vivent; les liens amicaux ou amoureux, collectifs ou communautaires bien sûr mais, au-delà et avec plus d’attention encore, les liens avec le dehors, le pas de chez nous, l’outre soi, avec l’étranger d’où qu’il vienne. Et plus loin encore, hors de l’humain qui nous rassure, les liens avec la forêt, le maquis, la terre, avec le végétal comme avec l’animal, les autres espèces et les autres formes de vie.
Se composer avec, les accepter, nouer avec elles, s’emberlificoter. C’est un alliage et c’est une alliance… »
« L’éloge du risque » de Anne Dufourmantelle:
« Etre en suspens, c’est retenir son souffle. Et regarder avec le plus d’attention possible, ce qui est simplement là, ce qui s’offre à soi dans la présence des choses. L’épreuve est dans cet équilibre conquis sur le vide; à tout moment il peut se rompre. Le funambule risque la chute, surtout lorsqu’il s’immobilise, qu’il s’exerce à se tenir là, presque sans bouger … En philosophie, on avance à tâtons avec une certaine idée de la vérité pour délimiter l’arène … c’est le lieu de la crisis, … être en suspens dans une balancelle conceptuelle sans vraiment toucher terre et décider de ne pas, … Juger, décider, agir. Rester le plus longtemps possible dans cette posture intenable qui vous commande intérieurement d’être « en réserve de … » Le suspens, c’est une négation de l’action qui sera l’action même… Suspendre n’est pas attendre… A quoi nous risquons – nous dans cet état de suspension – faisons nous le pari qu’autre chose surviendra, qu’une détermination interne, sorte de lent mouvement de bascule emportera notre être dans une trajectoire impérieuse? Les dés sont jetés, et l’on voudrait être dessaisi du sort, marionnettes plus ou moins gaies dans un monde de dupes. «
« Habiter le trouble » de Donna Haraway commenté par Laura Aristizábal Arango
« Les annonces apocalyptiques de l’Anthropocène ne sont énonçables que par quelques privilégié·es, le reste des habitant·es de la Terre n’ont pas attendu les dérèglements climatiques pour affronter le problème de la vie dans les ruines. Dans le travail récent de Haraway, les ruines sont donc un prémisse, ce avec quoi et dans quoi elle pense. En d’autres termes, Haraway met l’accent sur l’impossibilité de recommencer à zéro. C’est pourquoi le Chthulucène n’est pas un constat: il est une invitation. Elle nous propose de nous rendre attentif·ves à ce qu’elle désigne sous le terme d’ongoingness – « continuation », « persévérance » : pour continuer, on compose ici et maintenant avec ce qui est déjà là, un peu à la façon de cette petite Pimoa Cthulhu, l’araignée qui « ne cesse, en tirant ses fils, de réparer sa toile, d’en refaire les liens ou de lui trouver de nouveaux points d’attache »
Quelques auteurs/trices, sources d’inspiration.